Ayelet Fishbach, Vous allez y arriver !

Extrait

Introduction


Dans Les Aventures du baron de Münchausen, que publie Rudolf Raspe en 1785, le héros vante son extrême débrouillardise par une série d’histoires plus fantasques les unes que les autres. Dans l’une d’entre elles, il jette malencontreusement sa hachette sur la Lune et doit se servir de haricots à la pousse ultra-rapide pour grimper tout en haut du ciel et aller ainsi la récupérer. Dans une autre, il se bat à la fois contre un lion et un crocodile et s’en tire indemne en feintant juste à temps pour voir le félin plonger dans la gueule du reptile. Et dans une troisième, le voilà qui fourre sa main tout au fond du gosier d’un loup, lui attrape la queue et le retourne comme un gant.

Dans l’histoire sans doute la plus connue, le baron de Münchausen est à cheval lorsqu’il se retrouve coincé dans un vaste marécage. Alors que sa monture s’enfonce dans la tourbière, le baron examine les alentours et réfléchit à un moyen de se sortir de cette mauvaise passe. Sa solution n’est pas banale. Le baron se saisit de sa natte, une longue tresse à la mode à l’époque chez les hommes, et se tire lui-même par les cheveux pour s’extirper de la vase... et son cheval avec.

Se tirer soi-même par les cheveux. Voilà quelque chose qui, même dans un sens métaphorique, a tout l’air impossible. Et pourtant, sans en passer par les infractions aux lois de la physique commises par le bon baron, nous nous sommes tous forcément retrouvés dans ce genre de situation. C’était peut-être ce matin, où vous avez dû vous faire violence pour sortir du lit. Ou lors de cette dispute quand vous avez pris sur vous pour éviter qu’elle ne s’envenime jusqu’au point de non-retour. Ou cette soirée d’où vous êtes judicieusement parti avant le verre de trop. Et je parie que vos manches, vous les avez aussi retroussées pour un déménagement dans une nouvelle ville, un choix de carrière particulièrement ardu ou pour commencer ou achever une relation amoureuse. L’histoire du baron qui s’extirpe de la boue est une allégorie de tous ces moments où nous devons nous motiver.

Comme la vôtre, ma vie a connu son lot d’auto-extractions. J’ai grandi en Israël dans un kibboutz – un genre de communauté où la propriété privée est mal vue et l’argent jugé dégoûtant, et pas seulement parce qu’il passe de main en main. Conformément à cette idéologie, il me fallait partager mes biens, à savoir ma chambre, mes jouets ou encore mes vêtements, avec d’autres enfants de mon âge, que nous fussions ou non de la même famille. Aujourd’hui, j’enseigne à l’école de commerce de l’université de Chicago, une institution dévouée à l’idéologie capitaliste et à la valeur fondamentale qu’elle assigne à la propriété individuelle. Je me rappellerai toujours ma toute première semaine sur place, quand un collègue m’avait gentiment rembarrée quand je lui avais demandé de me prêter un de ses livres. À l’en croire, les professeurs devaient acheter, pas emprunter les livres. J’en ai été profondément ébranlée. Parce que c’est là que j’ai compris qu’il allait me falloir pas mal d’énergie pour passer si brutalement de la mentalité dans laquelle j’avais grandi à celle de mon nouveau pays et de mes nouveaux collègues.

Pourtant, je m’étais déjà sacrément secouée pour en arriver là. Dans ma communauté, on préférait l’agriculture et le travail manuel aux études. Certes, un diplôme universitaire pouvait être pertinent, mais surtout pour un homme brillant en quête d’un savoir utile. Je ne suis pas un homme ni ne m’estimais particulièrement lumineuse. En sus, je voulais étudier la psychologie, un savoir loin d’être indispensable pour un kibboutz. Des membres de ma communauté ont voulu me mettre au volant d’un tracteur (obstinée, j’ai toujours renâclé) et m’ont suggéré une orientation vers l’ingénierie ou l’architecture. En règle générale, le kibboutz prenait en charge vos études en échange d’un an au service de la communauté. Comme ce qu’ils voulaient me faire faire ne m’intéressait pas le moins du monde, je suis partie pour la grande ville. J’y ai multiplié les petits boulots – vendeuse dans une boulangerie, femme de ménage – et mis de l’argent de côté pour me payer un cursus de psychologie à l’université de Tel Aviv. Pour organiser seule mon déménagement, travailler jusqu’à pas d’heure et réussir mes études, autant dire que j’ai dû me décarcasser.

Avance rapide et me voilà. Avec mon mari, nous nous sommes aussi pliés en quatre pour nous installer aux États-Unis. Pour demander la nationalité américaine. Pour élever trois merveilleux enfants. Et, chaque jour que Dieu fait, pour atteindre d’autres objectifs, l’un après l’autre. Pour que la cuisine reste propre, que notre chien soit promené, que notre benjamin réussisse ses études, et j’en passe et des meilleures.

Pour arriver à quelque chose, mais aussi garder le sel de la vie, il faut savoir ne pas ménager sa peine. Sans cela, une moule sur son rocher serait plus dynamique que nous. À l’heure où j’écris ces lignes, en 2020, le monde est au beau milieu d’une pandémie. Comme la plupart de mes congénères, je me fais un sang d’encre, j’ai du mal à me concentrer et à rester motivée. Depuis des mois, j’ai appris à ne rien considérer comme acquis – ma santé, mon travail, la scolarité de mes enfants ou même la possibilité d’aller prendre un café avec des amis. Et même si j’adore mon boulot, garder ma motivation aussi vive qu’au premier jour me semble de plus en plus difficile. Écrire sur l’auto-motivation, c’est avant tout réussir, moi, à me motiver.

Et donc, comment se motiver ? Réponse courte : en changeant votre environnement.

Mettez un psychologue, un sociologue et un économiste dans la même pièce et ce principe de base – qu’on modifie un comportement en modifiant le contexte dans lequel il se produit – est peut-être la seule vérité sur laquelle ils s’accorderont (pour à peu près tout le reste, les débats risquent d’être houleux). C’est un principe fondamental pour les sciences du comportement, et il est également à la base de bien des découvertes en sciences de la motivation.

Il s’agit d’une discipline relativement jeune, née voici quelques décennies à peine. Mais ces recherches sont en plein boom, tout comme l’intérêt public pour la manière dont l’épanouissement personnel dépend des circonstances existentielles de chacun. Pour motiver autrui, c’est le plus souvent vers des connaissances issues des sciences de la motivation que nous nous tournons. C’est ce que font des entreprises lorsqu’elles fixent des objectifs organisationnels pour motiver leurs employés à travailler plus dur ; lorsque des enseignants analysent les progrès de leurs élèves pour les motiver à continuer sur cette voie ; quand des professionnels de santé envoient des messages pour motiver les gens à acquérir une bonne hygiène de vie. Ou lorsque des fournisseurs d’énergie soucieux de l’environnement partagent des informations sur les économies réalisées par leurs concurrents. Qu’on vise des étudiants, des collègues, des clients ou des concitoyens, nous avons acquis de précieuses connaissances sur les processus de motivation.

Des connaissances que nous pouvons également exploiter pour nous motiver nous-mêmes.

Vous modifiez votre comportement en modifiant la situation dans laquelle il se produit. Par exemple, vous savez sans doute que vous mangerez tout ce qui vous tombera sous la main dès vous aurez un petit creux. Par conséquent, si vous voulez vous mettre à mieux vous alimenter, une bonne solution serait de remplir votre frigo de fruits et de légumes frais. Autre solution : dire à votre famille que vous voulez manger sainement afin qu’elle vous fasse les gros yeux la prochaine fois qu’elle vous verra attraper un donut. Aussi, vous pouvez changer mentalement le sens que vous attribuez à ce genre d’aliment, en faisant passer le beignet de « délicieux » à « néfaste ». Ces stratégies très différentes (je les détaillerai plus tard) ont un point commun : elles changent votre environnement. En remplissant votre réfrigérateur de verdure, vous modifiez les options qui s’offrent à vous en cas de fringale. En disant à votre famille que vous voulez mieux manger, vous changez les personnes à qui vous devez rendre des comptes. Et vous dire que les beignets sont « néfastes » change l’image mentale que vous vous faites de ces gâteaux mous et cuits dans un bain d’huile.

Dans ce livre, j’exposerai comment vous pouvez exploiter les connaissances des sciences de la motivation pour guider et contrôler vos désirs et non plus seulement les subir. Je partagerai avec vous les quatre ingrédients au cœur d’un changement de comportement réussi.

Tout d’abord, vous devez choisir un objectif. Qu’il s’agisse de trouver l’amour ou de réussir la posture sur la tête au yoga, et que l’on soit expert ou débutant, on commence en se fixant une destination. Deuxièmement, vous devrez maintenir votre motivation du départ à l’arrivée. Vous surveillerez vos progrès en analysant vos performances, que le retour soit positif ou négatif, et en regardant en arrière pour voir ce que vous avez accompli et vers l’avant pour estimer le chemin qu’il vous reste à faire. Troisièmement, vous devrez apprendre à jongler entre plusieurs objectifs. D’autres buts et désirs vous tireront dans des directions opposées. Vous devrez apprendre à les gérer, à fixer des priorités et à trouver le bon équilibre. Enfin, vous apprendrez à vous appuyer sur autrui et à tirer parti du soutien social. S’il est difficile d’atteindre ses objectifs par soi-même, la tâche est d’autant plus ardue quand certaines personnes se mettent en travers de votre route. En revanche, lorsque vous acceptez qu’on vous aide, la quête n’en devient que plus aisée.

Connaître ces ingrédients n’est qu’une étape. Vous devrez également déterminer quel ingrédient manque à votre recette du succès. Inutile d’ajouter du sel à un plat qui manque de poivre. Par exemple, rechercher du soutien social (dont il sera question dans la quatrième partie) alors que vous vous sentez déjà soutenu n’augmentera pas votre motivation. Peut-être que votre problème tournera plutôt autour d’un objectif qui peine à vous enthousiasmer. Dans ce cas, la solution serait de trouver un chemin vers le succès qui maximise votre motivation intrinsèque (dont il sera question dans le chapitre 4).

Les quatre parties de ce livre sont chacune dédiées à un ingrédient de la recette. Dans la première, on apprendra comment définir un objectif qui soit suffisamment puissant et précis (mais pas trop) pour vous pousser vers la ligne d’arrivée. Dans la deuxième, on verra comment garder son élan, en suivant ses progrès de manière judicieuse et en évitant « le problème du mi-chemin ». Dans la troisième, je vous expliquerai comment jongler au mieux avec plusieurs objectifs, en sachant quels sont ceux qui doivent être priorisés et à quel moment. Enfin, dans la quatrième partie, vous apprendrez autant à vous servir des gens qui vous entourent qu’à leur venir en aide, et ce tout au long de votre quête.

S’il ne faut jamais oublier que nos problèmes sont divers et que les panacées n’existent pas, ce livre vous invite à concevoir votre propre parcours de changement comportemental et à opter pour les meilleures stratégies en fonction de votre propre situation. À la fin de chaque chapitre, une liste de questions est là pour vous guider dans la création de votre trajectoire personnelle vers le changement. En y répondant, pensez aux objectifs que vous souhaitez atteindre, mais gardez en tête la spécificité de votre environnement, notamment ses opportunités et ses obstacles.

Ce livre est une invitation à appliquer à soi-même les principes des sciences de la motivation. Vous y découvrirez les systèmes d’objectifs que nous fait créer notre esprit, la manière dont différents types d’objectifs jouent sur votre façon de les appréhender, ainsi que les moments et les endroits où les gens se retrouvent le plus souvent bloqués. Mais surtout, vous apprendrez à vous sortir de la panade en vous tirant vous-même par les cheveux.

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