James W. Pennebaker Joshua M. Smyth, Ecrire pour se soigner – La science et la pratique de l'écriture expressive
Extrait
Extraits des chapitres 1 et 2
Pourquoi le plaisir de raconter est-il si universel ? Qu’est-ce qui nous pousse à nous confier aux autres ? Est-il sain de leur dévoiler tout ce que nous pensons et ressentons au fond de nous-mêmes ? Ou bien est-il au contraire malsain de taire sa vie privée ? Des générations de psychologues, d’anthropologues, de journalistes, etc. se sont posé ces questions. Ce livre explore les liens entre les non-dits, leur verbalisation, et la santé. Bien que ce soient les hasards de la vie qui nous aient mis sur la piste de ces recherches au départ, plus nous avons avancé dans nos recherches, plus nous avons bénéficié de l’apport de nos familles, de nos amis et de nos collègues : leurs contributions sont au cœur de ce livre.
Le poids d’un secret peut être une source de stress. Les non-dits ont plus ou moins le même impact sur la santé que tous les autres stresseurs : ils peuvent avoir un effet nuisible sur le système immunitaire et le système cardiovasculaire, ainsi que sur les mécanismes biochimiques du cerveau et du système nerveux. Bref, cacher quelque chose aux autres, ne pas exprimer ses sentiments et censurer son comportement, c’est s’exposer à tout un éventail de troubles mineurs, voire parfois majeurs.
Alors que notre santé peut souffrir des non-dits, il est remarquablement bénéfique à court terme comme à long terme de faire face à ce que nous pensons et à ce que nous ressentons au fond de nous-mêmes. Quand nous mettons notre cœur à nu, que ce soit par le biais de l’écriture ou par celui de la parole (voire en utilisant l’une des nombreuses autres méthodes que nous allons rencontrer dans ce livre), cela peut nous aider à neutraliser certains des problèmes associés au poids du secret. Quand nous verbalisons notre douleur, cela peut modifier nos valeurs, nos schémas de pensée et la perception que nous avons de nous-mêmes. Il semble d’ailleurs que parler de soi satisfasse à un besoin de base. Ne pas partager ses pensées et ses sentiments avec les autres, c’est potentiellement mettre sa santé mentale et physique en danger. S’exprimer peut au contraire être très sain.
Ce survol rapide des idées que nous présentons dans ce livre ne rend toutefois guère justice à leur histoire et à leurs implications : nous allons donc commencer par vous expliquer comment nous en sommes venus à travailler sur l’impact du non-dit et de sa verbalisation.
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Reconstitution du puzzle
Le temps est venu d’assembler les pièces du puzzle. Ceux qui ont l’occasion de beaucoup parler à un groupe y prennent plaisir et affirment avoir beaucoup appris des autres. Une fois qu’un suspect a avoué son crime, son corps et son esprit ne manifestent plus le moindre trouble. Quand un patient prend conscience du lien qui existe entre un événement psychologiquement difficile et la maladie chronique dont il souffre, sa santé s’améliore.
Chacun de ces exemples présente un aperçu des conséquences psychologiques du renfermement sur soi et de l’ouverture vers les autres. Voici un résumé rapide des raisons principales de ces phénomènes :
Porter un secret affecte la santé du corps. Essayer de garder quelque chose pour soi c’est se forcer à réprimer ou à inhiber ses pensées, ses sentiments ou son comportement. Cacher quelque chose aux autres, c’est fournir un effort conscient pour s’empêcher de parler ou d’agir : il faut tout faire pour ne pas penser à quelque chose, pour ne pas ressentir un sentiment, ou pour ne pas faire ce qu’on aimerait faire.
Les secrets peuvent entraîner des conséquences biologiques à court terme et avoir un impact sur la santé à long terme. Quand on s’empêche de penser à quelque chose ou de ressentir une émotion, cela peut avoir un effet immédiat sur le corps, par exemple une augmentation du taux de transpiration ou du rythme cardiaque comme on l’a vu dans le cas du test du polygraphe. Avec le temps, l’effort qu’on fournit pour garder un secret a le même impact sur le corps qu’un stresseur à l’effet cumulatif, ce qui rend plus vulnérable à la maladie et aux troubles physiques et mentaux liés au stress. Quand on fait un effort conscient pour ne pas parler de quelque chose d’important, cela revient à s’imposer un des nombreux stresseurs qui peuvent affecter le corps et l’esprit.
Porter un secret nuit à la pensée : s’empêcher de dire ou de faire quelque chose perturbe les processus de la pensée. Quand on ne parle pas aux autres d’une expérience émotionnelle importante, le cerveau a beaucoup de mal à la traiter et à l’intégrer : ne pas partager une expérience avec les autres, c’est ne pas la mettre en mots, ce qui en limite la compréhension. Quand on vit une expérience qui met sa vie sens dessus dessous et qu’on l’enfouit profondément en soi au lieu d’en parler à autrui, ce vécu a tendance à refaire surface sous forme d’anxiété, de rumination mentale et de rêves bouleversants.
Le cerveau humain a naturellement tendance à essayer de comprendre le monde qui l’entoure. C’est en partie à cause de ce désir de comprendre que les expériences traumatiques finissent si souvent par devenir si obsédantes. Quand on parle de ses expériences, on les comprend mieux parce qu’on les traduit en mots. Quand on les passe sous silence, on continue à y penser. Or, quand on pense sans arrêt à quelque chose, on a moins de ressources mentales pour réfléchir à autre chose, ce qui explique pourquoi le stress s’accompagne souvent de trous de mémoire et d’une incapacité à remarquer ce qui a changé en soi ou chez autrui.
Le poids d’un traumatisme diminue quand on se confie à quelqu’un : le simple fait de divulguer ses secrets en réduit l’impact physiologique. Parler de ce qui fait mal entraîne une baisse du stress biologique associé au non-dit. Avec le temps, ceux qui continuent à affronter et à essayer de résoudre les problèmes qui les bouleversent voient leur taux général de stress diminuer.
Évoquer une expérience difficile oblige à faire un retour en arrière. Quand on lève le voile sur un traumatisme ou quand on essaie de l’affronter, on finit par mieux comprendre ce qui s’est passé et par assimiler cette expérience. Se confier, que ce soit par écrit ou en parlant à quelqu’un, demande de trouver les mots pour dire ce qui fait souffrir. Une fois qu’on est capable de verbaliser ce qu’on a sur le cœur, on commence à mieux comprendre ce qui s’est passé et on finit par mettre cette épreuve derrière soi.
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L’écriture expressive et la prévention santé
Le fait qu’il soit si mauvais de porter un secret signifie-t-il pour autant qu’il soit bon pour la santé de parler aux autres ? Au milieu des années 1980, des études menées par des psychothérapeutes ont démontré pour la première fois de façon convaincante que les psychothérapies ont un impact positif sur la santé mentale et physique. (Deux ou trois enquêtes menées par des compagnies d’assurance avaient en fait déjà démontré que le nombre de consultations médicales, ainsi que les frais de santé, diminuaient quand les psychothérapies étaient couvertes).
Comment concevoir une expérience demandant à ses participants de venir dans un laboratoire pour parler à quelqu’un d’une expérience traumatique qu’ils n’ont jamais raconté à personne ? On voit tout de suite quels problèmes un tel travail de recherche poserait : où trouver des gens qui accepteraient de confier leurs secrets les plus intimes à un inconnu ? Et même s’il était possible de trouver de tels volontaires, accepteraient-ils pour autant de se rendre dans un laboratoire ? Enfin, comment choisir leur interlocuteur ? Et comment ce dernier devait-il réagir en les écoutant raconter leurs expériences traumatiques. Tout cela était beaucoup trop compliqué.
À peu près vers cette époque, Jamie s’est rappelé de ce qui lui était arrivé huit ans plus tôt, quand son mariage traversait une période difficile et qu’il était en train d’essayer de résoudre ses différents avec sa femme, qu’il avait épousée à peu près trois ans auparavant. Il ne s’était jamais senti si abattu de sa vie et la dépression le guettait. Bien qu’il fût en train de faire une thèse de troisième cycle en psychologie, il n’avait pas songé à consulter un psychothérapeute. En revanche, il s’était mis à écrire au bout de deux ou trois semaines, afin d’explorer son couple, sa carrière, son enfance, bref tout ce qui comptait dans sa vie. En très peu de temps, il avait commencé à se sentir mieux et compris que sa femme était le pilier de son existence.
En réfléchissant à cette expérience, Jamie s’est rendu compte qu’au lieu de demander à ses sujets expérimentaux de raconter leurs expériences difficiles, il valait peut-être mieux les encourager à les relater par écrit. Cette technique avait également l’avantage d’être beaucoup plus simple à étudier dans un contexte expérimental. C’est ainsi qu’est né le paradigme de l’écriture expressive.